Un cancer du sein à 25 ans, c’est possible : un témoignage
Posté par Bérengère Arnal le 5 mai 2015
Prévention du cancer du sein. Pour le Dr. Arnal, gynécologue phytothérapeute, présidente-fondatrice de l’association Au sein des femmes
octobre 2014-avril 2015
Il y a quelques années, j’étais une jeune fille en fleur, aux boucles blondes épanouies sur mes épaules, les seins hauts comme deux fiers citrons. La santé était pour moi, comme pour beaucoup de jeunes, une évidence. Aujourd’hui, je suis toujours une jeune fille: j’ai 26 ans. Mais le temps de l’innocence a fané. Mon jeune corps est passé par plus d’épreuves, en un an et un mois, qu’on n’en imagine pour toute une vie : ma peau irradiée a pris une teinte de cuir rougi, mon regard a fait naufrage derrière mes yeux, comme au dernier à¢ge de la vie : « sans eyes, sans taste, sans everything». Plusieurs fois, j’ai eu 110 ans, quand mes os me lançaient comme ceux d’une vieille personne. Aujourd’hui mes boucles, comme des fleurs, sont revenues, mais mon sein coupé ne repoussera jamais. Et je me souviens de l’absurde : j’ai été chauve.
Aussi je voudrais, à travers le Dr. Arnal, m’adresser aux jeunes filles en fleur, et à leurs médecins. A ces jeunes femmes qui vivent une sexualité moderne, faite d’amour, de plaisir, et de responsabilisation. J’ai pris une pilule 3e génération pendant 8 ans. Pendant 8 ans, j’ai consulté la même gynécologue. En 8 ans, il n’a jamais été question d’une autre méthode contraceptive que la pilule. Tous les jours, un comprimé à prendre, pour une jeune fille en parfaite santé. Est-ce logique ou bien est-ce absurde ? Sans le savoir, j’étais pourtant, comme l’immense majorité des femmes dès le début de leur sexualité, une parfaite candidate pour d’autres méthodes contraceptives, comme le stérilet.
Depuis mon cancer, on m’interdit, à vie, d’utiliser la pilule. Bon conseil ; n’arrive-t-il pas trop tard ? Depuis mon cancer, je sais comment palper mon propre sein. N’est-ce pas dommage de n’en avoir plus qu’un? Depuis mon cancer et mes résultats négatifs aux tests génétiques (aucun membre de ma famille n’a été touché par le cancer du sein), depuis ces résultats je demande aux médecins, aux généticiens, de cesser de tourner autour de la double hélice de l’ADN et d’interroger les nuages qui s’accumulent au dessus d’eux, qui constituent ce patrimoine douloureux que nous partageons tous : le recours immodéré à la pilule; la banalisation des médicaments; les perturbateurs endocriniens ; les excès de l’industrie agro-alimentaire (sucre, pesticides, viande aux hormones). Cette société, qui préfère la dépense financière à la dépense physique, le sucre au sport, le stress à la joie, est aussi la société qui n’a pas diagnostiqué mon cancer.
Quand mon mamelon a saigné et que j’ai senti la boule, quand j’ai consulté mon médecin la veille d’un départ, ma valise était faite pour un mois de vacances. Fallait-il reposer cette valise, faire des tests avant de décoller ? Non, m’a-t-on rassurée : je suis partie avec la bénédiction de deux gynécologues, pour qui ni le saignement ni la boule ne constituaient des signes assez alarmants pour justifier des examens en urgence. Par la suite, le radiologue qui a chiffré la suspicion tumorale à plus de 70{b25895a8f5e0ff3719105b2677d38433f335dc254f3fece3fcbe7f59b02166ff} n’a pas estimé nécessaire de m’en faire part personnellement, ni de me recommander une investigation d’urgence. Dans les deux cas, j’ai eu le tort d’être jeune : en effet, les cellules cancéreuses couraient à ma perte avec la rapidité typique des cancers de ma tranche d’à¢ge, tandis que les médecins, de leur cà´té, faisaient de cette jeunesse le filtre éliminatoire, un passe-droit pour la somnolence de leur raisonnement scientifique.
Cet été-là , j’ai sauvé ma propre vie en allant plus vite que tous les médecins qui ont croisé mon chemin, et qui n’ont pas pensé : cancer.
Cette histoire n’est pas isolée, et malheureusement, le rajeunissement général de l’à¢ge au diagnostic de cancer du sein montre qu’elle le sera de moins en moins. Aux médecins qui lisent ces lignes: je vous invite à accepter la limite de vos connaissances face à cette pathologie, et à encourager, dans votre pratique, de nouvelles approches qui commencent à se généraliser. En premier lieu, devenez de nouveaux éducateurs auprès des femmes, pour leur apprendre la palpation mensuelle de leurs seins, et ce dès la sortie de l’adolescence. Aujourd’hui, le cancer du sein est la première cause de décès par cancer. La mammographie à partir de 50 ans ne suffit plus. Les femmes touchées à 30, 40 ans ne sont plus une exception: elles sont une nouvelle tranche des statistiques, une tranche qui se diagnostique trop tard. Pourquoi? Parce que les femmes n’y pensent pas, et les médecins non plus. La consultation de gynécologie peut s’emparer de cette nouvelle problématique. Aux jeunes filles: la consultation en gynécologie doit être l’occasion de vous former à vous connaà®tre vous-mêmes, avec l’aide du médecin. Pour une femme sur huit, cette connaissance vous sauvera un jour. Demandez à apprendre les bons gestes, au bon moment du cycle.
Ces changements impliquent un changement de perspective majeur: il faut s’efforcer, en tant que médecins, d’opérer une transition entre la position horizontale de cette patiente, qu’on auscultait autrefois avec autorité, à qui on « administrait » un soin, et une verticalité nouvelle du corps. Ce corps vertical, c’est-à -dire debout, articulé comme l’est la parole de la patiente, confère à la patiente dans son ensemble, corps et esprit, un rà´le crucial, celui d’une personne agissante: cette patiente n’est plus administrée mais administratrice. Elle gère son corps conjointement avec le médecin, dont elle ne peut se passer, de même que le médecin ne se passe plus de cette patiente consciente et actrice du soin.
C’est à mon sens dans cette transformation du rapport entre médecin et patient(e) que se logent les plus grands espoirs d’efficacité face au cancer. Les promesses de l’immunothérapie nous disent au premier chef ceci: le corps des patientes et la manière dont elles interagissent avec lui constituent la première défense immunitaire devant la maladie. C’est forts de cette idée que plusieurs médecins, dans des instituts dits « allopathiques », c’est-à -dire de médecine conventionnelle, ont commencé à prescrire du sport à tous leurs patients (j’insiste sur cette totalité), conscients des bénéfices de ce qu’on apprend aujourd’hui à considérer, en médecine, comme un soin. Ce sport qui se pratique pour soigner ou prévenir, qu’on appelle « sport santé » est désormais bien défini dans la littérature scientifique, il est cette « activité sportive pratiquée dans des conditions aptes à maintenir ou améliorer la santé dans un cadre de prévention primaire et de prévention tertiaire ». Preuve qu’il n’est jamais trop tard.
A mi-parcours de ma chimiothérapie, quand monter trois marches m’essoufflait autant qu’une vieille personne en fin de vie, j’ai acheté un petit stepper pour les jours o๠il faisait trop froid pour marcher dehors, pour les jours, surtout, o๠je chercherai des excuses. Et je me suis mise au sport. Très doucement. A peine deux mois plus tard, je faisais 30 minutes par jour de « petite course ». Non pas que j’eusse l’idée de profiter des circonstances pour perdre des kilos en trop. Je n’ai jamais eu de kilos en trop, raison pour laquelle, probablement, aucun médecin ne me recommanda de me mettre au sport, ignorant que je ne m’y étais jamais mise: parfois, le métabolisme est trompeur. Il aurait suffi au médecin de me poser la question pour se rendre compte que j’étais une énorme feignasse. Non, ce qui m’a fait monter, au beau milieu de la chimiothérapie, sur ma machine à suer, c’est de lire que le sport prévient le cancer du sein, ses récidives, et d’autres pathologies; toutes les femmes, les « minces » aussi, sont concernées. Aux médecins: initiez les femmes, malades et bien-portantes, à ce soin quotidien, si celui-ci ne fait pas encore partie de leur routine. Aux femmes: vous pouvez toutes avoir une « activité sportive pratiquée dans des conditions aptes à maintenir ou améliorer la santé »: il ne s’agit pas de « se dépasser », obsession décourageante de notre société de performance, mais de s’accompagner soi-même, en étant à l’écoute de nos capacités, qui sont là , et qui sont extensibles; ne les enfouissons pas dans l’attente de jours meilleurs. Il s’agit, là encore, de s’activer en tant que patient, tandis qu’en tant que médecin il s’agit de considérer cette « malade » comme une patiente ayant des capacités: elle n’est pas une in-capable durant le traitement, ou juste après. Le médecin peut discuter avec la patiente, proposer, prescrire: le sport, une alimentation saine, un travail sur le stress (sport encore, entourage bienveillant, psychothérapie, sophrologie, yoga, ou autres disciplines pouvant convenir aux goà»ts et aux capacités de la patiente): tous ces soins renforcent les soins chimiques, renforcent le coeur qui souffre; ils sont une lutte pour que l’esprit et le corps meurtris cessent de broyer du noir.
Prendre soin de soi n’est pas une trouvaille des magazines féminins, et ne doit plus être une injonction commerciale sur papier glacé; c’est un principe ancré dans les médecines les plus anciennes, qui offre des résultats quantifiés dans les études les plus récentes, et qui doit trouver sa place en consultation, à cà´té de la chimie; c’est un précepte qui doit se discuter entre le médecin et sa patiente. Verticalité face à verticalité.
Nous en sommes aux balbutiements des considérations sur l’environnement du malade, alors même que le savoir scientifique a été transfiguré par l’accumulation de preuves sur les causes multi-factorielles du cancer. Il faut faire vite, et s’emparer de ces nouvelles armes, visuellement moins acérées, moins spectaculaires que les aiguilles et les scalpels, mais tout aussi cruciales. Combien faudra-t-il de décès, de nouvelles tranches, de pleurs, de cheveux et de seins coupés, pour que l’on envisage davantage le long terme, et que la prévention à large échelle, pour les jeunes et moins jeunes, pour les malades et les bien-portantes, occupe une plus grande partie de notre lutte, et de notre histoire collective, scientifique et sociale, face au cancer? Le rapport entre le médecin et sa patiente change petit à petit, unité par unité, hà´pital par hà´pital. Médecins, patientes: devenons acteurs de ce changement. La patiente verticale et articulée est une patiente capable de beaucoup, et son médecin encore davantage. Considérer « l’environnement », au sens large, de la malade, s’entretenir de manière approfondie à ce sujet avec elle, c’est soigner sur le long terme. C’est soigner non plus seulement un organe malade dans un corps horizontalement disposé, mais un corps vertical et total qui, un jour, sera bien-portant.
En attendant – car il faut être patient… En attendant sachez que quand une jeune femme vient vous voir et qu’elle est inquiète, elle n’est pas systématiquement « qu’une jeune femme » : elle est d’abord une femme qui connaà®t son corps mieux que personne ; mieux que vous.
Je ne suis ni le problème, ni la solution ; je suis seulement une patiente avançant quelques pistes, et qui souhaite vous encourager à considérer un spectre plus large d’actions de prévention. Entendez ma voix ; quoique singulière, elle n’est pas rare. Son chant semble absurde, pourtant il ne l’est pas: on peut devenir une cantatrice chauve à 25 ans.
La cantatrice chauve
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